L’arrêt commenté nous délivre l’enseignement suivant : la libre négociabilité instaurée par la loi LME n’est pas sans limites. Encore faut-il que les obligations endossées par les partenaires soient justifiées par une contrepartie, quitte à remettre en cause le principe de la liberté de fixation des prix consacrée par l’ordonnance du 1er décembre 1986 qui fonde toute économie de marché…

Reprochant au Galec de soumettre ses fournisseurs à un déséquilibre significatif par le jeu de clauses qui les contraignent au versement d’une ristourne de fin d’année (RFA), selon lui dénuée de contrepartie, le ministre de l’Economie assigne le distributeur sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. La Cour d’appel de Paris accueille la demande en nullité du ministre (Paris, 1er juill. 2015, LawLex20150000874JBJ). Le Galec forme un pourvoi.

Il soutient que le Conseil constitutionnel n’a validé l’article L. 442-6, I, 2° que dans la mesure où la notion de « déséquilibre significatif » peut être définie par renvoi à l’article L. 132-1 (devenu l’art. L. 212-1) du Code de la consommation. Or, en vertu de ce dernier texte, l’appréciation du déséquilibre ne peut porter sur l’adéquation du prix au bien vendu. En comparant le prix négocié au tarif fournisseur, le juge aurait par conséquent violé l’article L. 442-6, interprété à la lumière de l’article L. 212-1.

Mais, selon la Cour de cassation, la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 212-1 et L. 442-6, I, 2° n’exclut pas l’existence de différences de régime, liées aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes protégées et à la nature des contrats concernés. Ainsi, en vertu de l’article L. 442-6, I, 2°, dont l’objet est de réprimer les pratiques restrictives, le déséquilibre significatif peut résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu. De plus, en exigeant une convention écrite qui indique le barème de prix préalablement communiqué par le fournisseur avec ses conditions générales de vente (CGV), la loi LME a permis une comparaison entre le prix arrêté par les parties et le tarif fournisseur. Dès lors, l’article L. 442-6, I, 2° autorise un contrôle judiciaire du prix si celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La solution introduit une différence de régime non seulement avec le déséquilibre significatif du Code de la consommation, mais aussi avec celui intégré dans le Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016, dont le nouvel article 1171, alinéa 2, précise que « [l]’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ». Paradoxalement, le Code de la consommation et le Code civil se révèlent plus respectueux de la force obligatoire du contrat et de la liberté contractuelle que le Code de commerce, dont l’objectif premier devrait pourtant demeurer la sécurisation des transactions commerciales.

En outre, la solution se révèle potentiellement contreproductive pour les fournisseurs, désormais exposés à des négociations en prix net/net.

A l’argument selon lequel la clause prévoyant le versement de RFA serait déséquilibrée en l’absence de contrepartie, le Galec objecte que la loi LME a instauré le principe de la libre négociabilité et supprimé l’exigence de justification de toute réduction de prix. Par ailleurs, à supposer que le juge puisse contrôler l’adéquation du prix au produit vendu, il lui appartiendrait d’évaluer le juste prix du produit et de rechercher si le tarif obtenu à la suite de la réduction du prix s’en écarte significativement, ce dont il s’est abstenu en l’espèce. Mais, selon Cour de cassation, en consacrant le principe de la libre négociabilité des conditions de vente, la loi LME n’a pas remis en cause la fonction de socle de la négociation commerciale des CGV. Le principe de la libre négociabilité n’est pas sans limite : l’absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants est répréhensible si elle procède d’une soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif. Or, la RFA était due soit en contrepartie d’un chiffre d’affaires indéterminé ou inférieur de près de moitié à celui réalisé l’année précédente, soit sans aucune contrepartie. En outre, les clauses litigieuses accordaient au distributeur le paiement d’acomptes sur la RFA avant qu’il ait réglé les marchandises et le faisaient profiter d’une avance de trésorerie aux frais du fournisseur, sans qu’aucune autre clause ne vienne rééquilibrer la convention. Enfin, retenant que le déséquilibre significatif reproché au Galec ne résultait pas du niveau des prix consentis mais du mécanisme de mise en oeuvre des RFA, la cour d’appel n’était pas tenue de rechercher le « juste prix ».